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29 avril 2025
Énergies renouvelables
Occitanie

Encadrer le développement des EnR avec une charte territoriale

Comment construire une vision partagée pour le développement local des énergies renouvelables, et comment la transformer en cadre applicable aux porteurs de projets ? C’est ce que nous expliquent Nicolas Gayet et Alban Aubert de Quercy Énergies (l'Agence Locale de l'Energie et du Climat du Lot), qui ont accompagné la rédaction de plusieurs chartes dans le département du Lot.

Quels sont les moyens à disposition des collectivités locales pour maîtriser le développement des énergies renouvelables sur leur territoire ?

Nicolas Gayet : En complément de l’outil Destination TEPOS qui permet aux acteurs locaux d’aboutir à une vision 2050 partagée, il y a l’incontournable trio des documents de planification (SCOT, PCAET et PLUi), à penser en complémentarité avec les chartes territoriales EnR. Ces dernières sont des objets un peu à part, non opposables contrairement aux ScoT et PLUi, mais néanmoins intéressantes pour les collectivités qui souhaitent améliorer la maîtrise et la qualité des projets d’énergie renouvelable sur leur territoire. Ensuite, la maîtrise du foncier est un point stratégique. Au-delà du foncier public, les collectivités sont le plus souvent confrontées à des projets sur foncier privé, avec des promesses de bail signées sans information préalable de la collectivité. Dans ce cas, la maîtrise est très faible. Les collectivités disposent de plusieurs leviers pour sécuriser du foncier privé : information des propriétaires, exploitants agricoles et opérateurs EnR, identification des parcelles privées déjà sécurisées, appui d’un opérateur local (SEM, coopérative citoyenne), signature d’une promesse de bail et lancement d’un appel à projet sur foncier privé. Ces pistes d’action sur le foncier sont actuellement explorées par le mouvement Énergie Partagée (revoir le webinaire “attention foncier ! “ de novembre 2024).

Alban Aubert : Créer des outils d’investissement est un autre levier intéressant. Une Société d’Economie Mixte (SEM) peut devenir un partenaire local privilégié, susceptible de définir des critères de sélection des projets dans lesquels elle est prête à investir. La collectivité peut aussi soutenir les coopératives citoyennes qui naissent sur le territoire, financièrement et politiquement, pour assurer un ancrage local et citoyen des questions énergétiques.

La rédaction d’une charte permet d’introduire des notions complexes comme les impacts, les modèles de développement, etc. qui n’ont pas leur place dans un PCAET ou un PLUi. Et surtout, un tel exercice permet de créer du consensus, de créer une vision commune, à condition de prendre du temps !

Alban Aubert Directeur de l’ALEC Quercy énergies

De plus en plus de collectivités se dotent de chartes locales sur les énergies renouvelables, Quercy énergies accompagne d’ailleurs plusieurs de ces démarches. Qu’est-ce que les collectivités peuvent en attendre ?

Nicolas Gayet : Les collectivités locales subissent le plus souvent les projets d’énergie renouvelable qui se développent sur leur territoire, majoritairement menés par des développeurs extra-territoriaux. L’objectif principal de la charte, c’est de moins subir, davantage gagner en maîtrise sur les projets énergétiques du territoire. Les projets de charte que nous avons accompagnés dans le Lot, territoire très rural et touristique, répondaient souvent à trois enjeux prioritaires dans l’esprit des élus locaux : paysagers, agricoles et puis environnementaux. Notre rôle a aussi été de mettre l’enjeu de l’ancrage local des projets au cœur des réflexions, avec plus ou moins de succès selon les territoires.

Alban Aubert : Au-delà de cet objectif de “reprendre la main” sur les projets d’énergie renouvelable, nous avons observé a minima deux co-bénéfices : la rédaction d’une charte permet d’introduire des notions complexes comme les impacts, les modèles de développement, etc. qui n’ont pas leur place dans un PCAET ou un PLUi. Et surtout, un tel exercice permet de créer du consensus, de créer une vision commune, à condition de prendre du temps !

Vous soulevez le besoin de temps, avez-vous d’autres préconisations méthodologiques pour réaliser de telles chartes ?

Nicolas Gayet : En effet, la conception d’une charte est un processus de temps long, qui nécessite des discussions filière par filière. Pour que la démarche porte ses fruits, il ne faut pas négliger cette temporalité et ne pas brûler les étapes. À commencer par le besoin de sensibilisation des élus. Cela peut passer par des ateliers d’information, des visites d’installations en service, des ateliers de co-construction d’un référentiel d’analyse commun, etc. Au-delà des élus, il faut aussi réfléchir aux acteurs du territoire à impliquer autour de la charte. En associant le maximum de parties prenantes, on s’assure de construire des passerelles entre des acteurs aux intérêts parfois éloignés : élus, agents, expertise locale (ALEC, bureaux d’études), coopérative citoyenne, citoyens, développeurs, chambre d’agriculture, syndicats, acteurs du paysage et de la biodiversité, etc. Intégrer les propriétaires fonciers à l’élaboration de la charte, le plus en amont possible, est également primordial. Plus ils seront impliqués, moins il y a de risque qu’ils contractualisent avec des porteurs de projets qui ne respectent pas les fondements de la charte. La difficulté est de parvenir à réunir les mêmes personnes régulièrement, afin de monter ensemble en compétences et ainsi être en mesure de co-construire une vision commune.

Alban Aubert : J’ajouterais que le portage politique est l’ingrédient indispensable : surtout dans une démarche TEPOS où l’ambition forte doit être accompagnée d’un cadre clair pour tirer les projets vers plus de qualité, en définissant collectivement des critères exigeants.

Observez-vous des limites ou marges d’amélioration à ces initiatives ?

Alban Aubert : Contrairement aux Parcs Naturels Régionaux qui peuvent intégrer les énergies renouvelables à leur Charte de parc, un document juridiquement opposable, celles rédigées par les collectivités locales n’ont pas cette qualité juridique. C’est donc essentiel d’aller au bout de la démarche en prévoyant la traduction de la charte dans les documents de planification (SCoT et  PLUi) qui, eux, sont opposables. Mais cela est souvent perçu comme une procédure supplémentaire, qui vient alourdir un attirail administratif déjà complexe, tant techniquement que calendairement.  

Nicolas Gayet : La méconnaissance des phases de développement d’un projet est aussi un gros frein. D’où l’importance de ne pas griller les étapes amont de sensibilisation : un temps nécessaire pour indiquer aux collectivités où se trouvent leurs leviers d’action, et pour partager une information fiable et homogène tant sur les énergies renouvelables que sur les enjeux paysagers, de biodiversité, etc. Ce temps est rarement disponible, et c’est difficile d’avoir une présence régulière. Notre expérience nous a aussi montré l’importance de la coordination territoriale, à la fois pour harmoniser le vocabulaire utilisé dans les chartes s’appliquant à différentes échelles, et pour assurer une bonne lisibilité pour les porteurs de projet. Lorsque différentes chartes se superposent à plusieurs échelles (département, PNR, EPCI par exemple), cela peut venir les affaiblir. D’autant que la pression des développeurs est parfois très forte, et difficile à contenir dans un temps long. La situation financière des petites communes rurales peut les pousser à accepter « trop vite » des projets déjà ficelés, c’est alors trop tard pour la co-construction.

Alban Aubert : Pour faire face à cette pression, il faut a minima une vision commune dans une charte avec un fort portage politique pour la faire vivre, déclinée dans les documents de planification juridiquement opposables et cohérents aux différentes échelles de territoire, maîtriser le foncier, et des outils d’investissement détenus en partie par des acteurs territoriaux. Mais, globalement, aucun de ces outils ne permet une maîtrise totale des projets EnR : les collectivités locales doivent donc composer avec une palette d’outils différents, dont aucun n’offre de leviers parfaits, même réunis.