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Sobriété énergétique
Stratégie territoriale

Risque de délestage : anticiper et mobiliser son territoire pour une plus grande résilience

Une boîte à outils a été mise en place par l’association AMORCE, permettant aux collectivités de partager leur expérience face aux éventuels délestages et de se renseigner sur cette situation. Entretien avec Aodrenn Girard, chargé de mission Politique climat-air-énergie, Réseaux d’électricité et de gaz et Transition énergétique à AMORCE.

Pouvez-vous nous en dire plus sur le risque de délestage cet hiver ?

Il convient tout d’abord de bien comprendre la situation en termes d’équilibre entre la production française d’électricité et la demande énergétique. 

L’année 2022 a été marquée par des événements qui ont engendré des problèmes de production d’électricité en France. On a connu une baisse de production nucléaire de l’ordre de 80 TWh causée par la maintenance retardée par le COVID, et les corrosions sous contraintes.. La sécheresse historique (déficit  hydrique de 25%) a également causé une baisse de production de l’hydraulique de 12 TWh. En parallèle, le développement de la production d’électricité par les énergies renouvelables ne connaît pas une croissance assez soutenue. On a donc connu des difficultés d’approvisionnement électrique. Et ce faible niveau de production décarbonée a contraint la France à faire appel aux énergies fossiles pour répondre à la demande en électricité, résultant en une forte dépendance au réseau européen avec 242 jours où la France a été importatrice d’électricité alors qu’habituellement, elle est une grande exportatrice. Les importations d’électricité sont fortement carbonées car venant d’Allemagne majoritairement mais également d’Angleterre. Côté consommation, l’année 2022 a affiché une baisse de 20 TWh par rapport à 2021, grâce aux efforts de sobriété mais aussi parce que c’était l’année la plus chaude de tous les temps. Mais notre niveau de consommation fin 2022 est revenu au niveau pré-COVID, causant des problèmes d’approvisionnement. 

On a réussi à finir 2022 sans délestage, l’hiver est encore chaud donc on espère ne pas en avoir rapidement, mais il faut se préparer pour plus tard car le risque ne disparaîtra pas avec le printemps 2023. C’est d’autant plus plausible à moyen et long termes que la demande électrique augmente avec la massification de l’électrification des transports et du chauffage dans les logements. Se préparer au délestage, c’est faire preuve de résilience pour les années à venir, ce n’est pas juste un risque pour l’hiver 2022-2023.

Du côté des collectivités, quels risques ces délestages représentent-ils ?

Les risques principaux pour les collectivités sont nombreux : casse matérielle sur les installations d’eau, surchauffe du four des unités de valorisation énergétique (production d’électricité et de chaleur à partir de l’énergie issue de l’incinération des déchets ménagers non recyclables), désactivation des systèmes incendies sur les unités de gestion des déchets, sécurité et accessibilité de certains sites, arrêt inopiné d’installations (eau potable, réseaux de chaleur), remise en route difficile après la coupure, etc.

L’impact peut donc être potentiellement important sur les services essentiels gérés par les collectivités. Couper l’électricité, cela signifie aussi un impact sur la distribution d’eau, sur le chauffage, sur le traitement des déchets, autant de services qui ne s’arrêtent d’habitude jamais et ne sont pas listés dans les installations ne pouvant être délestées au même titre que l’hôpital ou la gendarmerie. 

Cette liste étant par ailleurs complétée à la discrétion des préfets, et n’étant pas publique, nous encourageons les collectivités à entrer en contact avec leur préfet afin de prendre connaissance des installations listées comme ne pouvant être délestées. 

Quelles sont vos recommandations pour que les collectivités puissent faire face le plus sereinement possible à ce risque ?

La recette est de traiter le sujet sur le fonds, avec une vision à long terme, et de participer à la réduction de la consommation énergétique sur leur territoire : rénovation, sobriété, non électrification des usages. Limiter les tensions reste la priorité.

Les acteurs socio-économiques du territoire ont aussi un énorme impact : le rôle de la collectivité peut alors être de les faire monter en compétence et de les outiller, par rapport aux risques de délestage mais aussi par rapport à la transition énergétique en général. C’est indispensable pour rendre les territoires plus résilients. La crise d’approvisionnement peut être une porte d’entrée pour faire avancer le territoire sur des actions de sobriété et d’efficacité énergétique. 

Enfin, pour se préparer au délestage en amont, nous encourageons les collectivités à s’inscrire sur Ecowatt et à inciter l’ensemble des acteurs à faire de même, à sensibiliser largement aux enjeux de réseaux et de consommation, et à anticiper les risques pour le maximum d’installations possibles. 

La boîte à outils que nous avons développée reprend tous les risques avec les recommandations d’AMORCE pour chaque risque, et renvoie vers de nombreuses références, comme le Plan de continuité des activités. Cette boîte à outil accessible à tous a vocation à évoluer en fonction des retours d’expérience des collectivités et des parties prenantes comme Enedis par exemple. 

Qu’est-il ressorti de votre enquête de novembre dernier ?

Le 28 novembre 2022, AMORCE a souhaité recueillir l’avis des collectivités et acteurs contribuant aux services publics concernant l’élaboration des listes préfectorales, de l’inscription des installations liées aux services publics dans ces listes.  Ainsi l’identification des risques et préconisations sur chacune de ces installations face aux délestages permet de porter un message groupé au Gouvernement. Au total, 106 répondants, représentant 307 installations, ont participé à cette enquête.

Quelques chiffres parlant issus de cette enquête : 

  • 86% des installations défendues n’ont pas de système d’alimentation de secours, celles qui en sont dotées ne peuvent, pour la grande majorité, pas faire fonctionner leur installation à 100%;
  • Seules 26% des installations ont un plan de continuité des activités, et pour la plupart, il ne prévoit que la mise à l’arrêt de l’installation;
  • Plus de la moitié des gestionnaires d’installations d’eau prévoient un risque de débordement de leur installation en cas de délestage;
  • Il faut aussi noter que le seul moyen utilisé actuellement pour alimenter en électricité une installation en cas de coupure est un groupe électrogène. Comme le risque est de plus en plus probable, l’utilisation de ces groupes l’est aussi, ce qui va à l’encontre des objectifs climatiques et énergétiques.

Le chiffre le plus représentatif de la situation est que 83% des collectivités territoriales n’étaient pas informées de la liste des installations ne pouvant faire l’objet de délestage. Cela révèle un véritable problème de coopération et de dialogue entre les services de l’État et les collectivités dans la définition des priorités d’approvisionnement électrique. L’arrêté de 1990 gagnerait sans doute à être mis à jour ! Une fois de plus, nous encourageons les collectivités à prendre attache avec leurs services préfectoraux à ce sujet.