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Stratégie territoriale

Stratégie française énergie-climat et politique territoriale : la difficile articulation

La production d’énergie et l’indépendance énergétique de la France sont au cœur des débats parlementaires et font l’objet de nombreuses déclarations gouvernementales. Plusieurs temps politiques et processus sont enclenchés pour construire la Stratégie française pour l’énergie et le climat. Interview avec Anne Auclair, responsable énergie et territoires au CLER- Réseau pour la transition énergétique.

Qu’est-ce que la Stratégie française énergie-climat ?

La France dispose d’une feuille de route nationale ayant pour objet de tracer le chemin pour atteindre la neutralité carbone en 2050 et adapter la société aux conséquences du changement climatique. C’est la stratégie française pour l’énergie et le climat (SFEC), composée de quatre textes complémentaires :

  • La loi de programmation sur l’énergie et le climat (LPEC), qui doit fixer à partir de 2023 les priorités d’action de la politique climatique et énergétique nationale pour respecter l’objectif européen de -55% d’émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici à 2030
  • La Stratégie nationale bas carbone (SNBC) qui définit les orientations stratégiques pour mettre en œuvre, dans tous les secteurs d’activité, la transition vers une économie bas-carbone et atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050.
  • La programmation pluriannuelle de l’énergie, qui fixe tous les 5 ans, par des objectifs quantitatifs, les orientations et priorités d’action des pouvoirs publics pour la gestion de l’ensemble des formes d’énergie sur le territoire métropolitain continental (sécurité d’approvisionnement, efficacité énergétique, développement des énergies renouvelables et de récupération, réseaux, stockage, mobilité propre, pouvoir d’achat des consommateurs, compétitivité des prix de l’énergie, compétences et formations pour les filières énergétiques).
  • Le Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC), qui présente les mesures concrètes et opérationnelles pour intégrer l’adaptation au changement climatique dans l’ensemble des politiques publiques.

L’élaboration de la SFEC suit des échéances successives propres à chacun des textes la composant, la première étant l’adoption à l’été 2023 de la Loi de programmation énergie-climat. Les trois autres textes devant être adoptés à l’été 2024. La concertation a donc été engagée depuis novembre 2021 par une phase de concertation volontaire prenant la forme d’une multitude de groupes de travail thématiques, auxquels le CLER-Réseau pour la transition énergétique a tenté de participer.

Comment s’articulent les processus en cours avec la Stratégie énergie-climat ?

Depuis l’automne 2022, l’objectif d’une stratégie nationale construite et concerté est devenu de moins en moins lisible avec l’entrée au   calendrier parlementaire du projet de loi accélération des énergies renouvelables, puis celui sur l’accélération des procédures de construction des installations nucléaires, et dans le même temps  une consultation sur le mix énergétique.

Les projets de lois ayant pris le devant de la scène, le calendrier de construction de la SFEC semble comme suspendu. L’objectif d’adopter une loi de programmation cet été paraît de moins en moins tenable. Les débats  semblent menés en ordre dispersé. Comment définir les conditions d’accélération des énergies renouvelables et des centrales nucléaires successivement sans que les objectifs chiffrés du mix énergétique n’aient été stabilisés ? En morcelant les discussions, les débats se polarisent en pour ou contre les énergies renouvelables, pour ou contre le nucléaire et ont tendance à se concentrer sur la production d’électricité.  Or ce sont bien le mix énergétique et ses conditions de mise en œuvre qu’il faut définir collectivement. La multiplication des espaces de concertation rend difficile la capacité de la société civile et des associations à contribuer aux débats.

De plus, une telle complexité d’organisation du débat rend  le sujet énergétique d’autant plus difficilement appropriable par les citoyens. C’est encore une occasion ratée de débat démocratique sur notre avenir énergétique.

Comment cette stratégie nationale se traduit-elle localement ?

Les régions sont cheffes de file de la transition énergétique et les EPCI de plus de 20 000 habitants sont compétents en matière d’énergie climat avec les PCAET. La planification territoriale se fait donc à différents niveaux sans vision d’ensemble claire sur les modalités concrètes d’articulation (périmètre d’intervention et compétences variables d’un territoire à l’autre), ni consolidation nationale des objectifs territoriaux. L’ADEME a mis en évidence un décrochage entre les objectifs poursuivis par l’ensemble des régions dans les SRADDET et les objectifs de la SNBC 2 : la somme des émissions de GES des régions à horizon 2050 est presque 2 fois supérieure à l’objectif national. Et il est fort probable que la somme des objectifs des PCAET ne permettent pas respecter les objectifs des régions. Une telle analyse serait d’ailleurs fastidieuse dans la mesure où il n’y a aucune méthode harmonisée en matière de définition des objectifs énergie-climat locaux ni des indicateurs de suivi associés. Les territoires auraient besoin d’appui méthodologique de la part des observatoires régionaux par exemple pour qu’un suivi harmonisé à l’échelle régionale des politiques locales puisse être réalisé.

Si l’on peut déplorer le manque de convergence entre les objectifs locaux, départementaux, régionaux et nationaux, c’est surtout les disparités en matière de mise en oeuvre qu’il faut chercher à gommer. Les collectivités territoriales ne pourront s’aligner sur les objectifs chiffrés de la France tant qu’ils n’auront pas des moyens renforcés pour les mettre en œuvre et mobiliser les parties prenantes de leur territoire dans cette perspective. Si nous nous réjouissons du nombre croissant de territoires s’engageant sur des trajectoires TEPOS, nous savons aussi qu’ils ne deviendront majoritaires qu’avec des moyens supplémentaires, notamment en matière d’ingénierie pour animer ces démarches exigeantes et chronophages.

En matière de relation entre l’État et les collectivités territoriales, on sait qu’imposer des objectifs est contre-productif. Il est bien plus pertinent de faciliter la coordination et la coopération entre les différents échelons territoriaux.

Comment les territoires et en particulier les TEPOS peuvent porter une meilleure territorialisation de la stratégie nationale ?

Les modalités de concertation sont telles qu’il est impossible pour un territoire d’y prendre pleinement part. Les bras manquent déjà pour porter tous les projets sur le terrain, alors participer à la construction de la stratégie nationale… Et pourtant le modèle de développement territorial adopté par les TEPOS mériterait d’inspirer d’autres échelons territoriaux, ne serait-ce qu’en matière de mise en débat démocratique des questions de mix énergétique.

Les futurs comités régionaux de l’énergie seront, nous l’espérons,  une arène qui facilitera l’adhésion à des objectifs régionaux partagés et l’émergence de solidarités inter-territoriales pour mieux répartir les unités de production d’énergies renouvelables en fonction des réalités de terrain notamment. Alors que le décret n’a toujours pas été publié, des inquiétudes persistent au sujet des  moyens alloués à la mise en place de cette gouvernance et la corrélation entre les questions énergétiques et les autres enjeux de la SFEC. Il aurait été pertinent que ces comités régionaux contribuent à la stratégie nationale.

En attendant, des outils existent pour faciliter la transition énergétique territoriale.  Les territoires peuvent se saisir de Destination TEPOS pour construire leur trajectoire en phase avec le scénario négaWatt. Réaliser un plan paysage de la transition énergétique peut également faciliter la mise en œuvre de l’ambition énergétique du territoire et anticiper les débats à venir pour la définition des  zones d’accélération des énergies renouvelables.